Le dimanche soir, miroir de nos vies : rencontre avec Adèle Montreuil pour le Prix ESActu
Le dimanche soir, on est le cul entre deux chaises. On fait le point sur la semaine qui vient de s’écouler, et dans le même temps on appréhende celle qui arrive. Une juxtaposition du passé et du futur qui rend ce moment étrangement inconfortable. Cette sensation universelle m’a mené à rencontrer Adèle Montreuil, philosophe et anthropologue, dont les travaux scrutent avec finesse nos rituels modernes. Pendant trente minutes d’échange, elle m’a déroulé une théorie fascinante sur ce qu’elle appelle « le pont des heures ».
Adèle commence par me peindre une scène presque banale. Le dimanche soir, m’explique-t-elle, « n’est pas qu’un moment de transition ; c’est une faille temporelle où passé et futur s’entrechoquent. » Elle prend une pause, comme pour me laisser digérer cette idée. « Nous vivons dans un monde obsédé par l’action, la productivité. Mais le dimanche soir, nous sommes contraints d’arrêter ce mouvement. Cela nous pousse à regarder en arrière, à faire face à nos choix, à nos erreurs, et, dans le même temps, à anticiper ce qui nous attend. »
Elle compare le dimanche soir à un pont suspendu, oscillant au moindre souffle de vent. « Traverser ce pont demande du courage. C’est un moment où l’on est forcé de se confronter à soi-même. Or, cela peut être vertigineux, car nous sommes peu habitués à écouter notre propre silence intérieur. » Je lui demande pourquoi ce moment semble si universellement redouté. Elle sourit doucement. « Parce qu’il est inconfortable. Nous préférons fuir dans le bruit ou l’action plutôt que d’accepter cette introspection. »
Selon Adèle, ce malaise est pourtant une opportunité. « Le dimanche soir peut devenir un espace pour se recentrer, si on l’accepte comme tel. Prenez ce temps pour revisiter votre semaine : qu’avez-vous accompli ? Où avez-vous échoué ? Mais faites-le avec bienveillance, sans jugement. Puis, projetez-vous dans la semaine à venir, mais sans vous écraser sous le poids des attentes. »
Je lui demande comment elle applique ces idées dans sa propre vie. Elle rit doucement. « Oh, je ne suis pas à l’abri du blues du dimanche soir. Mais j’essaie d’en faire un rituel. Je m’accorde une pause, je prends un carnet et j’écris. Pas de longues réflexions, juste quelques lignes sur ce que j’ai ressenti, sur ce que je souhaite améliorer. Cela m’aide à apaiser l’inquiétude. »
Adèle m’invite ensuite à élargir la réflexion. « Le problème vient aussi de notre conception de la semaine. Notre temps est cloisonné autour du travail et le cycle qui nous est rigidement imposé nous enferme dans une vision à court terme. Plutôt que de penser en semaines, imaginez une stratégie de vie, une trajectoire qui s’inscrit sur le long terme. En cultivant une vision claire de nos forces, de nos faiblesses et de nos aspirations, chaque jour devient une brique pour construire un objectif plus vaste. C’est cette clarté qui rendra le lundi matin motivant, et non une simple case à cocher. La semaine, dans ce cadre, devient un allié, non un adversaire. »
En repartant, ses mots continuent de résonner en moi. Le dimanche soir n’est pas une fatalité, mais une invitation. Une invitation à s’arrêter, à ressentir, à être. Ce soir, je repenserai à ses mots. Et je tenterai, peut-être pour la première fois, d’habiter pleinement ce pont des heures.