« Nouvelle aube » : Quand l’art défie l’industrie des batteries au lithium

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"Nouvelle aube" : Quand l’art défie l’industrie des batteries au lithium

Pour cette première édition du Prix ESActu, la rédaction a choisi de récompenser le collectif Nouvelle Aube pour son œuvre percutante mêlant art et écologie. En détournant des batteries au lithium destinées à une décharge toxique, ces jeunes artistes et ingénieurs ont transformé des déchets en une installation immersive et provocatrice au cœur de La Défense. Par cette action, Nouvelle Aube interpelle sur les dangers de l’industrie moderne tout en proposant des solutions alternatives, soulignant ainsi l’urgence d’un dialogue responsable autour du recyclage et de l’impact environnemental.

 

Le détournement : quand art et technologie se rencontrent dans un atelier de fortune

 

Tout a commencé quelques semaines plus tôt, lorsque ce groupe d’une dizaine de jeunes a intercepté un camion contenant une tonne de batteries au lithium, en partance pour le Ghana, où ces déchets toxiques devaient être abandonnés dans une décharge à ciel ouvert. « On savait que ces batteries étaient condamnées à polluer des sols déjà asphyxiés, loin des yeux des entreprises qui les ont produites, » explique Louise, une des porte-paroles du collectif. « Alors on a décidé de faire quelque chose d’utile avec ce poison électronique. »

 

Avec des moyens limités mais une connaissance poussée des procédés chimiques et industriels, Nouvelle aube a réussi à créer un espace où les batteries pouvaient être sécurisées et dépolluées. « On s’est inspiré des processus industriels de désassemblage, mais adaptés à nos moyens, » raconte Léo, l’ingénieur du collectif. « La première étape, c’était d’isoler les cellules lithium-ion actives et de neutraliser les composants toxiques. » Pour cela, l’équipe a dû utiliser des bacs d’eau distillée combinés à des additifs chimiques pour ralentir les réactions dangereuses des composants internes des batteries. Ce processus, appelé passivation, permet de rendre les cellules inactives avant de les manipuler en toute sécurité.

 

Ensuite, vient le travail délicat de l’extraction des métaux lourds : lithium, cobalt et nickel. « Nous avons utilisé des techniques d’hydrométallurgie en miniature. Le principe est de dissoudre les métaux dans des acides faibles pour ensuite les précipiter sous forme de sels non toxiques, » explique Léo. Ces composants, une fois stabilisés, ont été réutilisés dans des modules spécifiques de la sculpture, symbolisant les « veines » toxiques de notre économie moderne.

 

Conception de l’œuvre : entre art et ingénierie

 

Avec les batteries nettoyées et désassemblées, l’étape suivante consistait à concevoir une œuvre qui soit à la fois esthétiquement frappante et porteuse d’un message puissant. Le collectif s’est réuni autour d’une grande table d’atelier, leurs carnets de croquis ouverts, pour imaginer la structure. L’idée principale était de créer une sorte de labyrinthe en spirale qui pousserait le spectateur à entrer dans l’œuvre pour en comprendre sa complexité.

 

« On voulait que l’œuvre soit immersive, que les gens se sentent physiquement impliqués dans cette spirale de pollution et de recyclage, » explique Louise, une des artistes visuelles du projet. « Chaque module est un morceau de batterie recyclée, reconstitué dans une nouvelle forme. Les câbles serpentent comme les racines d’un arbre malade. »

 

Le processus d’assemblage a nécessité des compétences diverses : artistes plasticiens, soudeurs, ingénieurs. Ils ont utilisé un mélange de techniques modernes et traditionnelles. La soudure des métaux a été faite à partir de composants en acier inoxydable, provenant eux aussi de matériaux recyclés, pour garantir la solidité de la structure tout en restant fidèle à l’esprit écoresponsable du projet. Des morceaux de lithium cristallisé ont été placés dans des compartiments translucides, émettant une lumière blanche et froide, pour souligner la tension entre technologie et nature.

 

Un choc en plein cœur de La Défense

 

Lorsque l’œuvre est déposée au cœur du quartier d’affaires de La Défense, elle ne tarde pas à susciter des réactions. Certains passants, d’abord perplexes, s’arrêtent, curieux. Claire, une employée de banque, confie : « Au début, je ne comprenais pas ce que c’était. J’ai cru que c’était une nouvelle installation temporaire. Puis, en lisant les pancartes, j’ai réalisé l’impact que ces batteries ont sur l’environnement. C’est choquant de voir ça ici, au milieu des entreprises qui en profitent. »

 

D’autres, en revanche, se montrent plus sceptiques. Marc, cadre dans une multinationale de la technologie, s’indigne : « C’est un acte de vandalisme artistique. Il existe des moyens plus civilisés de discuter des problèmes environnementaux. Nous sommes déjà en train de travailler sur des solutions pour le recyclage des batteries. Ce genre d’action ne fait qu’effrayer les gens. »

 

Une œuvre qui dérange les industriels

 

Du côté des grandes entreprises, la réaction ne s’est pas fait attendre. Certaines ont rapidement dénoncé cette intervention comme étant irresponsable et dangereuse. Un communiqué de TechCorp, une société présente à La Défense, souligne : « Nous condamnons fermement toute action qui met en péril la sécurité publique ou qui attaque de manière désinvolte les efforts que nous faisons pour améliorer la durabilité de notre chaîne de production. »

 

Pour Nouvelle aube, c’est justement cette indignation qui montre que l’art a atteint son but. Max, un autre membre du collectif, souligne : « Notre structure est faite des déchets de leurs produits. Elle incarne la conséquence directe de leur course effrénée vers toujours plus de production. Qu’ils s’offusquent, c’est une preuve que notre message touche juste. On ne peut plus balayer ce problème sous le tapis. »

 

Entre dénonciation et proposition

 

Le message du collectif va au-delà de la simple critique. Loin d’une simple dénonciation, Nouvelle aube espère ouvrir le dialogue sur des solutions concrètes. « Ce n’est pas qu’une protestation », explique Louise. « Nous avons prouvé que ces batteries peuvent être restaurées et réutilisées autrement. Si un groupe d’artistes dans un atelier de fortune peut le faire, imaginez ce que des industriels avec des ressources pourraient accomplir s’ils le voulaient. »

 

L’œuvre est aussi un appel à la prise de conscience collective : comment pouvons-nous, en tant que société, accepter que des pays moins développés servent de décharges pour nos déchets toxiques ? Nouvelle aube espère que cette sculpture, au-delà de son impact visuel, permettra d’éveiller les consciences sur la nécessité de solutions locales, durables, et éthiques à ce problème mondial.

 

Avec cette action, Nouvelle aube a non seulement marqué l’espace public d’un geste symbolique fort, mais a également relancé le débat sur la responsabilité des entreprises face à la crise écologique. Leur structure reste à La Défense comme une installation provisoire, mais son message, lui, semble déjà avoir laissé une empreinte durable.